« Mon erreur fondamentale a été de croire qu’il existait encore une vieille France, un ensemble de braves gens, gentilshommes, bourgeois, propriétaires, fidèles aux sentiments d’honneur, aux traditions de leur race et qui, égarés, affolés par les turlutaines qu’on leur débite depuis cent ans, reprendraient conscience d’eux-mêmes si on leur montraient la situation telle qu’elle est, et se réuniraient pour essayer de sauver leur pays. J’étais l’homme le plus réformateur, le plus avancé, le plus épris de justice sociale qu’il y eut en France ; cette erreur m’a fait passer pour un rétrograde, elle m’a enlevé toute action sur la masse. La masse, en effet, plus sûrement guidée par son instinct que nous le sommes par nos connaissances, a horreur du parti conservateur, elle s’éloigne de lui comme les chevaux d’un endroit où il y a un mort. NE VOUS METTEZ JAMAIS AVEC LES CONSERVATEURS. » (Drumont)
Drumont cherchait des hommes. Il s’était adressé à des larves de la plus odieuse sottise, la sottise qui naît de la peur. Il faut relire chez lui et chez Bernanos l’histoire des inqualifiables avanies que lui fit subir cette bourgeoisie bien-pensante, pétrie d’hypocrisie et de frousse, éprouvant l’horreur congénitale de cet homme qui était tout entier courage et vérité. On ne peut même pas esquisser dans un journal ce honteux et gigantesque vaudeville, le haut clergé volant au secours de la synagogue pour condamner la France juive. On n’en rappellera qu’un seul épisode, la fameuse élection municipale du Gros-Caillou, quartier bien-pensant par excellence. Drumont, candidat catholique, fut battu à plate couture par l’archevêché et la bourgeoisie pratiquante.
Contre ce vrai croisé, l’Eglise avait lâché Léo Taxil, franc-maçon et pornographe anticlérical de bas étage. On a le regret de le dire : la plus grande tare politique de Drumont fut de n’être point resté dans l’incroyance de sa jeunesse. Il était trop chrétien pour un catholicisme dégénéré. Les Juifs n’avaient point eu besoin d’intervenir. En six ans, la chrétienté officielle avait brisé l’enthousiasme d’un de ses plus grands apôtres, la bourgeoisie le tenait pour un com- munard déguisé, cependant que les républicains, sourds aux clameurs de son anticléricalisme si justifié, lui jetteraient jusqu’au tombeau l’anathème majeur de cette époque : créature des Jésuites.
J’incline à croire, comme Bernanos, que, dès 1892, Drumont avait perdu l’espoir et ne se battait plus que pour l’honneur, l’amour de la vérité et l’avenir. Il s’offrira du moins le luxe de dépeindre, tels qu’ils sont, le stupide polichinelle Déroulède, allié au youtre Naquet, l’inodore Albert de Mun, allié au youtre Arthur Meyer, les militaires, qui ont donné une fois pour toutes la mesure de leur jobardise et de leur pleutrerie civique dans la foirade du boulangisme, les forbans de nonciature, les larbins à mitres, les bedaux, les aristocrates souillés de sang juif. Panama, le Ralliement – cette reptation de l’Église devant la démocratie qui la paiera à coups de pied – l’affaire Dreyfus – à l’origine, ne l’oublions jamais, dix youtres qui jouent vingt milles officiers français !
D’autres que Drumont, sans doute, ont fait de ces mornes infamies des tableaux plus circonstanciés. Mais personne n’a comme lui dévoilé les ressorts profonds : la cupidité, l’imbécillité, la trouille. Drumont, dans sa violence, est le seul homme que l’esprit de parti n’altère pas. Il ne cède pas une seule ordure de la république judéo- démocratique. Mais il démontra que ses adversaires, « l’opposition », à peine moins corrompus, ne se distinguaient d’elle, en somme, que par leur idiotie. La République, du moins, savait manœuvrer. Tel a été ce grand homme, un de nos maîtres s’il en fut. Nous avons le sentiment hallucinant qu’il vit parmi nous.
Les archevêques, condamnant en chaire sa France juive, donnent la main au Gerlier de 1944. Nous voyons Déroulède se précipiter dans les bras de Bernard Lecache en brandissant la bannière du gaullisme. Nous reconnaissons, sous les basanes, les rabats, les huits-reflets de 1890, les Giraud, les de Lattre de Tassigny , les Louis Marin, les Gillouin, les Maritains, les Du Moulin de la Barthète. Rien n’a changé, parce que les conditions de la vie politique française demeurent les mêmes en 1944 qu’en 1890. Nous sommes toujours en judéo-démocratie, sous le quadruple blason de l’étoile à six branches, du triangle, du sabre et du goupillon.
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